samedi 28 janvier 2017

A propos des propositions d'Emmanuel Macron sur la culture.

Emmanuel Macron a fait hier ses propositions sur la culture et participé à une émission sur France-Culture pour les présenter. Je m’attarderai ici sur les propositions qui sont mises en ligne sur son site, les paroles s’en vont les écrits restent comme on dit. Reconnaissons lui d’abord un mérite c’est de placer cette question au cœur du débat politique. Peu nombreux sont les hommes politiques à s’intéresser à cette question et à ne pas se contenter d’un discours lénifiant sur le « supplément d’âme »... Si on regarde en détail les propositions qui sont sur son site, deux constats d’abord. Le premier c’est qu’on reste globalement dans une approche purement malrusienne, centrée sur la question de l’accès à la culture, mettant de côté d’autres questions comme par exemple celle des droits culturels, de la coopération culturelle territoriale. Le second, c’est qu’il n’y a aucune proposition en direction des artistes. Le mot n’est d’ailleurs même pas écrit dans son programme. On peut du coup se demander ce qu’il pense de la rémunération des auteurs, de l’intermittence du spectacle, de la marchandisation de la culture, des amateurs ? Premier sujet abordé, le budget. Il sera constant nous dit-il. Les mauvaises langues pourraient faire remarquer que c'est exactement ce qu’avait promis François Hollande en 2012, avant de le baisser. Mais quand on voit la faiblesse actuelle de son niveau, on s’attendrait plutôt à ce qu’il propose de l’augmenter. D’autant que le problème, et c’est à mon sens là que le bas blesse, Emmanuel Macron veut financer des mesures nouvelles par redéploiement pour un montant de 200 millions d’euros soit plus de 5% du budget ! Comme s’il y avait trop d’argent, des réserves cachées après 5 ans d’austérité budgétaire ! Bref on déshabille Paul pour habiller Pierre. Si Emmanuel Macron est élu, préparez-vous à ce que le budget stagne, et que les subventions actuelles baissent. On a ensuite deux mesures phares : - un pass culture de 500 euros donné à chaque jeune pour ses 18 ans - l’ouverture des bibliothèques les dimanches et WE. L’amplitude de l’ouverture des bibliothèques est une bonne idée. Et ce n’est pas l’élu à la nuit que je suis qui va dire le contraire. Mais cela va demander un effort en terme de coût. Puisque des bibliothèques ouvertes ce sont aussi des personnels qui y travaillent et qu’il faut rémunérer. La proposition d’Emmanuel Macron est de doubler le temps d’ouverture (en passant de 40h à 98h par semaine) Or le budget de l’État, nous dit-on sera constant. Donc aucune aide à attendre de ce coté là. Vu que la plupart des bibliothèques en France sont municipales, on souhaite bien du courage aux maires pour la mise en place de cette proposition. Pour ce qui concerne le pass de 500 euros, je suis plus mitigé. La mesure n’est pas nouvelle. Les Régions, depuis des années, distribuent des aides individuelles ciblées au moyen de chèques ou de cartes. La première à l’avoir mis en place est la Région Rhône-Alpes en 1993… Il faut rappeler que la question de la ségrégation dans la culture, dans son accès ou dans ses pratiques n’est pas seulement liée à la question de l’argent. On l’a vu par exemple lorsqu’a été mise en place la gratuité des musées. Rendre gratuit l’accès au musée n’a pas fait fondamentalement varier les CSP qui y vont. La question du rapport à l’art et à la culture dans notre société se trouve aujourd’hui plus posée à travers les questions de médiation qui y sont proposées, d’école du spectateur qui sont mises en place ou encore dans la reconnaissance de la diversité des pratiques artistiques des français, que sur la seule question de l’accès à l’œuvre d’art. La simple distribution de 500 euros à chaque jeune pour ses 18 ans ne règlera donc pas le problème. En revanche le point positif de cette mesure, c’est son financement : une taxe sur les GAFA. C’est à mon avis la bonne idée du programme d’Emmanuel Macron : faire entrer les multinationales nord-américaines dans le financement de notre culture. Mais à mon avis il ne va pas assez loin, et si une taxe est créée pourquoi n’irait-elle pas aussi aider directement les artistes, la création, l’EAC… Bref l’ensemble du secteur culturel. C’est ce qu’avait évoqué Pierre Lescure dans un excellent rapport publié en 2012 sur l’exception culturelle à l’heure du numérique et qui proposait un certain nombre de mesures tout à fait intéressantes pour rééquilibrer l’économie de la filière culturelle. Malheureusement, très peu des préconisations n’ont été mises en place par François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Là encore, les mauvaises langues pourraient rappeler qu’a l’époque, Emmanuel Macron était secrétaire général de l’Élysée et, si l’on en croit la presse, un des conseillers les plus écoutés du président sur les questions économiques. Mais ne boudons pas notre plaisir que de voir cette idée réapparaitre. Emmanuel Macron parle aussi de développer l’Éducation artistiques et culturelle. Marronniers des campagnes électorales depuis plusieurs années, ce sujet manque surtout de modus operandi. Je pense donc que plutôt que de proposer (de manière un peu démagogique je dois dire) que « 100% des jeunes aient accès à l’EAC » sur la base d’appel à projet (où est le service public ?) et de laisser en première lignes les collectivités territoriales se débrouiller avec ça, Emmanuel Macron ferait mieux de reprendre la proposition que nous avons énoncée pendant la campagne d’Arnaud Montebourg de créer un Agence Nationale de l’Education Artistique et culturelle qui impulserait et coordonnerait l’action publique dans le domaine de l’EAC sur l’ensemble du territoire. Enfin, dernier point, c’est la proposition d’une régulation Européenne contre la prédation des multinationales nord-américaines du divertissement et du net (les fameuses GAFA) et de leur mise à contribution. Il a raison, c’est à cet échelon-là que les choses doivent se jouer. Pour notre part, nous avions proposé un traité culturel européen qui permette de défendre et d’étendre les mécanismes de l’exception culturelle. Mais quand on voit ce qu'il s’est passé sur le CETA ou sur le TAFTA et de quelle manière il a fallu batailler pour obtenir le maintien de l’exception culturelle il y a trois ans, il va falloir mettre en place un sérieux rapport de force avec nos partenaires européens sur cette question. J’ai, là un sérieux doute qu'Emmanuel Macron, qui fait pour moi partie de la catégorie des eurobéats, soit à même de mener se rapport de force. Enfin, pour le reste, et bien il n’y a rien, aucune proposition. Rien sur les droits culturels, rien sur la rémunération des artistes et leur précarisation, rien sur l’intermittence du spectacle, rien sur la démocratie culturelle et la co-construction des politique publique, rien sur les déserts culturels, le manque de diversité, la francophonie, rien sur la concentration oligarchiques dans la presse. Bref, à la lecture de ses propositions sur la culture, on ne sait toujours pas si Emmanuel Macron est de gauche ou de droite. Mais ses propositions se résument malheureusement parfois à une simple politique d’offre et de demande. Deux mesures et une simple vision économique des industries du numérique ne suffisent pas pour tracer une volonté politique de l’action à mener en matière culturelle. Pour conclure, je pense qu'il faut que les présidentielles soient l'occasion d'un débat sur la culture, l'art, les politiques culturelles. D'abord parce cela fait longtemps qu'il n'y en a pas eu et qu'il y a besoin que les choses bougent enfin. Ne laissons pas l'Art devenir une marchandise ou un produit réservé aux élites, mais faisons en sorte qu'il reste un bien commun. Ensuite parce qu'au sortir de ce quinquennat de déception, la gauche doit montrer au monde culturel, au citoyen de ce pays, qu'elle a encore quelque chose à proposer dans ce domaine. Plusieurs s'y sont d'ors et déjà lancés : Arnaud Montebourg, d'abord, avec son manifeste culturel, Benoit Hamon et sa carte blanche lors du débat des deuxième tour face à Manuel Valls. Que le débat continue, s'enrichisse et que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent

lundi 25 janvier 2016

Pour une République inclusive. Tribune parue dans l'Humanite du 25 janvier 2016


« Partout dans la France abaissée, dans la République désemparée, c’est une marée lourde et visqueuse de réaction qui monte dans les cœurs et dans les cerveaux ». Ainsi s’exprimait Jean Jaurès dans un article intitulé « Une honte » et publié le 10 mai 1912 dans l’Humanité. Il dénonçait la campagne de panique et de peur qu’avait déclenché la presse, suite à une série de sanglants attentats anarchistes.

C’est à cette même marée lourde et visqueuse, cette panique, que la gauche gouvernementale et intellectuelle semble avoir cédé en ce début d’année après les évènements mortifères de 2015. Ces nouveaux réactionnaires veulent construire une République exclusive, qui mettrait de côtés les binationaux, les mal-laïcs mais aussi ceux qui cherchent à expliquer certaines causes. Cette pente du "contre" est mortifère pour la gauche et ne fait que cultiver les peurs, la crainte des autres.

Mais quand on est élu à Paris, ce qui est mon cas, on comprend parfaitement que la demande de sécurité des habitants après les attentats n’implique pas un tournant sécuritaire de nos lois ou de notre constitution. Non, ce que la gauche doit à la société comme à elle-même, c’est une République juste et inclusive. A fortiori parce que nous sommes dans une période de doutes et de crise.

Une République qui inclut.
Celle qui fait de la double citoyenneté non une tare mais un atout pour notre société, une chance pour notre rayonnement international et pour la francophonie. Cette République qui fait de son métissage culturel et cultuel une force, et qui n'imagine pas en elle de cinquième colonne tapie dans l’ombre, prête à agir. La République inclusive ne laisse personne sur le bord du chemin et, face à la ségrégation sociale, territoriale se bat pour que soit tenue la promesse d’égalité. Elle défend la liberté et sait qu’un Etat qui se déclare en état de guerre permanent produit une société de la méfiance et du rejet.
Cette République sait qu’elle doit sans cesse expliquer à tous ses enfants qu’ils ont toute leur place en France, leur permettre de vivre en sécurité mais aussi de s'épanouir quotidiennement. La République inclusive mise sur la culture, l’éducation, l’écologie, sur la mise en commun des activités humaines, face à leur transformation toujours plus rapide en de simples marchandises. Elle sait que si on change la constitution, cela ne peut être que pour  renforcer la démocratie sociale et parlementaire et non pour y faire entrer de nouveau pouvoir coercitif d’exception.

Mettre en commun :
Si elle veut se reconstruire, nous devons favoriser les lieux d’échange, de partage entre les forces de gauche, mais surtout avec ceux qui se sont détournés de son chemin, qui ne votent plus, qui n’y croient plus mais font. Comme dans la période qui a précédé 1848, l’heure est aux banquets de tous les républicains. Combien d’exemple de gens qui agissent au quotidien, des artistes qui aident les réfugiés et leur ouvrent leurs théâtres comme à Rouen ou à Paris, des salariés qui mettent en place des coopératives comme « 1336 », des ex-FraLib, des maires qui mettent en place des budgets participatifs comme à Paris ou une gouvernance collégiale et participative comme à Saillans. Il y a aussi de bonnes nouvelles, celles d’une société qui résiste et qui construit une alternative. Avec eux, la gauche peut se reconstruire en faisant confiance à ceux qui, malgré les déceptions et les promesses non tenues, ont continué à agir. Des primaires de la gauche ? Oui, pour peu qu’elle participe de de la mise en mouvement de cette alternative et non de l’adoubement d'un candidat naturel.


A la fin de son article Jaurès ajoutait, de manière pessimiste : « Un peuple ainsi affolé, ainsi abêti par la peur  (…) se méfie de la justice et la liberté comme d’un piège, de l’idéal comme d’une duperie ». Serait-ce une prémonition pour 2017 ?
Je pense qu'il est encore temps de se réveiller et se battre pour nous éviter le pire.

samedi 14 novembre 2015

Ne pas ceder à la terreur.

Hier soir, des terroristes ont décidé de s'attaquer à notre Capitale en s'en prenant plus particulièrement à sa vie nocturne jeunes, riche de diversité, de mixité et de mélange. En prenant pour cible une salle de concert, des cafés, des restaurants, un stade de foot c'est tout un mode de vie une certaine conception du commun qui est visé. La réaction des parisiens a été impressionnante de solidarité. Et au cœur de la nuit même tout un réseau de solidarité s’est mis en place.
Même si nous sommes tous frappés, d’effroi, d’horreur et de stupeur, le pire serait que toute vie nocturne s’arrête brutalement. Cela signifierait à nos adversaires que leur terreur est en train de gagner.

lundi 28 septembre 2015

Tribune parue dans l'Humanité du 28 septembre.

C’est enfin le moment attendu. Trois ans après l’élection de François Hollande, le parlement discute enfin de la loi de création architecture et patrimoine. L’enjeu est de taille. L’attente est forte dans un contexte où nombre de festivals ont du mal à boucler leur programmation ou disparaissent, que l’alternance politique lors des dernières municipales a vu bon nombre de municipalités de droite (mais aussi certaines de gauche) baisser leur budget culture, que les artistes sont régulièrement victimes de censure ou d’attaques par des bigots ou des censeurs de tout poil. L’Assemblée Nationale entame lundi le débat sur la loi sur la création artistique et sur le patrimoine. Si cette loi est pour l’instant déséquilibrée entre sa partie sur la création et celle sur le patrimoine qui représente plus des 2/3 des articles, le parlement va devoir faire un important travail d’amendement s’il veut que le résultat soit à la hauteur des besoins et des attentes.


En premier, cette loi devrait être aussi comporter un volet de programmation budgétaire. C’est d’ailleurs ce qui avait été demandé par le monde de la culture quand François Hollande avait intégré cette idée de la loi sur la création dans ses 60 propositions en 2012. Il est anormal que la part de la richesse consacrée à la culture dans le budget national soit si faible. Et l’abandon, il y a un an, de la taxe sur les tablettes dite taxe Lescure qui aurait pu permettre de faire contribuer les géants du net au financement de la création, est venue rappeler que ce gouvernement ne souhaitait pas changer cet état de fait. Il fut un temps où la gauche réclamait 1% du budget de l’Etat pour la culture. On en est loin aujourd’hui. Manuel Valls a déclaré récemment que la baisse du budget de la culture durant les deux premières années du quinquennat avait été une erreur. C’est bien. Mais aujourd’hui des festivals disparaissent faute de financement. Il faut donc agir plus fort. Et prévoir une loi de programmation pour la culture au même titre qu’il y en a une pour l’armée.
L’autre urgence est celle de la diversité et de la parité. Selon l’étude de la  SACD « Où sont les femmes », pour la saison 2015/2016, les femmes ne représenteront que 26% des auteurs joués dans nos théâtres et salles subventionnés, 26% des metteurs en scènes et 4% (sic) des chefs d’orchestres. Et ne parlons pas de la diversité qui, même s’il n’y a pas de statistiques, est absente des plateaux de théâtre, et des écrans de cinéma. C’est pourtant un enjeu démocratique fondamental si l’on veut que la culture demeure un facteur d’émancipation, et que sa pratique professionnelle ne soit pas l’apanage d’une élite de mâles blancs.

Enfin cette discussion parlementaire pourrait être l’occasion de retisser des liens entre les pratiques professionnelles et amateurs. Au delà des débats, certes fondamentaux sur le statut et la présomption de salariat, il est temps que dans un pays qui a été précurseur en matière d’éducation populaire, et qui a inventé la fête de la musique que les politiques publiques en matière de culture intègrent les pratiques amateurs en leur sein.

Lorsque, dans le dernier film documentaire de Yves Jeuland, « Un temps de président », François Hollande donne des conseils à Fleur Pellerin qui vient d’être nommée ministre de la culture, par « Va au spectacle tous les soirs, il faut que tu te tapes ça, et tu dis que 'c’est bien', que 'c’est beau' », il ne comprend pas que les artistes n’ont pas seulement besoin qu’on vienne voir leurs oeuvres pour en dire du bien, ils ont besoin d’être soutenus.
La culture doit redevenir une priorité des politiques publiques. La gauche se doit de mener cette bataille pour garder une dimension subversive et un rôle social à l'Art et ne jamais oublier que la culture est avant tout un élément producteur de commun.