« Partout
dans la France abaissée, dans la République désemparée, c’est une marée lourde
et visqueuse de réaction qui monte dans les cœurs et dans les cerveaux ».
Ainsi s’exprimait Jean Jaurès dans un article intitulé « Une honte »
et publié le 10 mai 1912 dans l’Humanité. Il dénonçait la campagne de panique
et de peur qu’avait déclenché la presse, suite à une série de sanglants attentats
anarchistes.
C’est
à cette même marée lourde et visqueuse, cette panique, que la gauche
gouvernementale et intellectuelle semble avoir cédé en ce début d’année après
les évènements mortifères de 2015. Ces nouveaux réactionnaires veulent
construire une République exclusive, qui mettrait de côtés les binationaux, les
mal-laïcs mais aussi ceux qui
cherchent à expliquer certaines causes. Cette pente du "contre" est
mortifère pour la gauche et ne fait que cultiver les peurs, la crainte des
autres.
Mais
quand on est élu à Paris, ce qui est mon cas, on comprend parfaitement que la
demande de sécurité des habitants après les attentats n’implique pas un
tournant sécuritaire de nos lois ou de notre constitution. Non, ce que la
gauche doit à la société comme à elle-même, c’est une République juste et inclusive.
A fortiori parce que nous sommes dans une période de doutes et de crise.
Une République qui inclut.
Celle
qui fait de la double citoyenneté non une tare mais un atout pour notre
société, une chance pour notre rayonnement international et pour la
francophonie. Cette République qui fait de son métissage culturel et cultuel une
force, et qui n'imagine pas en elle de cinquième colonne tapie dans l’ombre,
prête à agir. La République inclusive ne laisse personne sur le bord du chemin
et, face à la ségrégation sociale, territoriale se bat pour que soit tenue la
promesse d’égalité. Elle défend la liberté et sait qu’un Etat qui se déclare en
état de guerre permanent produit une société de la méfiance et du rejet.
Cette
République sait qu’elle doit sans cesse expliquer à tous ses enfants qu’ils ont
toute leur place en France, leur permettre de vivre en sécurité mais aussi de
s'épanouir quotidiennement. La République inclusive mise sur la culture,
l’éducation, l’écologie, sur la mise en commun des activités humaines, face à leur
transformation toujours plus rapide en de simples marchandises. Elle sait que
si on change la constitution, cela ne peut être que pour renforcer la démocratie sociale et
parlementaire et non pour y faire entrer de nouveau pouvoir coercitif
d’exception.
Mettre en commun :
Si
elle veut se reconstruire, nous devons favoriser les lieux d’échange, de
partage entre les forces de gauche, mais surtout avec ceux qui se sont détournés
de son chemin, qui ne votent plus, qui n’y croient plus mais font. Comme dans
la période qui a précédé 1848, l’heure est aux banquets de tous les
républicains. Combien d’exemple de gens qui agissent au quotidien, des artistes
qui aident les réfugiés et leur ouvrent leurs théâtres comme à Rouen ou à Paris,
des salariés qui mettent en place des coopératives comme « 1336 », des
ex-FraLib, des maires qui mettent en place des budgets participatifs comme à
Paris ou une gouvernance collégiale et participative comme à Saillans. Il y a
aussi de bonnes nouvelles, celles d’une société qui résiste et qui construit
une alternative. Avec eux, la gauche peut se reconstruire en faisant confiance
à ceux qui, malgré les déceptions et les promesses non tenues, ont continué à
agir. Des primaires de la gauche ? Oui, pour peu qu’elle participe de de la
mise en mouvement de cette alternative et non de l’adoubement d'un candidat
naturel.
A la
fin de son article Jaurès ajoutait, de manière pessimiste : « Un
peuple ainsi affolé, ainsi abêti par la peur (…) se méfie de la justice
et la liberté comme d’un piège, de l’idéal comme d’une duperie ». Serait-ce
une prémonition pour 2017 ?
Je
pense qu'il est encore temps de se réveiller et se battre pour nous éviter le
pire.